mardi 7 avril 2009

De travers/

Tu donnes ton assentiment de la tête et montes dans la voiture. Je me sens plus cramé que jamais, désertique, la tête chargée de souffre et de cailloux brûlants. Les habitations se font de plus en plus rares et précaires au fur et à mesure que nous roulons, la route de plus en plus accidentée. La cendre de ta cigarette dévale le long du tableau de bord jusqu’aux mégots et t-shirts sales jonchant le revêtement plastique collé par le soda, la bière, le vin renversés sur les t-shirts salis, les mégots noyés, au dessus, ton tambour sur la place du mort, sans timbre.
Mes yeux ne quittent pas le bitume qui défile à toute allure sous mes pieds en milliers de lignes qui se chevauchent, disparaissent, explosent, renaissent, s’entrechoquent, fuient en une course absolue, un quadrillage instable qui menace de se rompre, de s’écrouler sous l’habitacle de tôle ardente, et alors que nous roulons je pense à mon corps qui s’enfonce dans le sol et ne cesse de descendre dans les profondeurs souterraines, entraînant avec lui d’autres corps, d’autres objets, la chaussée, les barrières, les arbres, le désert, et le monde entier se recroqueville et finit par s’avaler. Le paysage liquéfié me contemple en un reflet distordu par la chaleur, au loin d’autres voitures surgissent en abstractions lumineuses, elles ne prennent forme et se révèlent que lorsque nous les croisons. Le vent frappe mon visage, l’air est chargé de plomb. Mon corps a enseveli mon esprit, toute pensée est aliénée par ma douleur, par le sang qui boue dans mes veines comme de l’huile en surchauffe, prête à exploser, des frissons de fièvre balayent mon intérieur, remontent le long de mon épine dorsale jusqu’à mon crâne foudroyé, cristallisent la sueur sur mon front. Je vais chercher la salive au fond de mes tripes, elle remonte comme de la pierre dans ma gorge, acide comme du suc sur ma langue et mon palais. Mes narines sont pleines de poussière, cette même poussière noirâtre qui s’élève en lustre de cendres au cul du véhicule, nous collant à la manière d’un essaim d’abeilles furieuses et résignées, une nuée de terre désintégrée, réduite à l’état de poudre par le passage des pneus en fusion. Le soleil finit par s’affaisser à la cadence des éoliennes, irradie la ligne d’horizon surplombée de pourpre, d’indigo déchiré par les pâles de carbone.
La nuit bleue s’abat en une fraction de seconde et nous ne sommes plus qu’une diode démente au milieu de l’immensité atone. Le ciel nocturne est voûté, c’est un dôme gigantesque que nous traversons, moi seul conscient de l’existence de l’édifice, de ses aspects et de ses dangers. Nous sommes en territoire hostile, un espace clos qui se déploie en spirale, s’ajuste à nous et s’enroule autour de la ferraille qui nous transporte. Nous sommes le centre de gravité d’un monde dont nous sommes la proie, qui nous resserre à la façon d’une onde de choc inversée jusqu’à ce qu’il nous dévore et disparaisse avec nous, ne laissant qu’une obscurité huileuse saturée de peur et de désespoir. Je vois les ranchs, le bétail, les arbres tortueux façonnés par le vent, et je sais que tout cela n’est qu’un vaste trompe-l’oeil, un décor bradé, une imposture géographique. Pare brise : de grands aplats écrasé par le dôme bleu, encore lumineux et clair à la base, d’une viscosité sombre au sommet, un coup à s’enliser par la tête pour l’homme canon. L’orchestre a soif disent-ils depuis le poste radio, puis l’agitation, des cris de femmes et de meurtriers, le soleil et le rhum crament la retenue. Pare brise : toujours des aplats, impression de faire du surplace malgré la vitesse au compteur. Tu dors maintenant sur le siège arrière, je me retourne pour te contempler. Pare choc : un chien errant, tué sur le coup. La voiture quitte la route.

J.P

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire